Ça faisait plaisir de
revoir Fabrice. De revenir à Mirandilla. La journée avait été belle. Le ciel
était demeuré bleu. Il rougissait maintenant. Au bas d’une rue en pente, à la
sortie du bourg, l’appartement était immense et agréable. On passerait deux
nuits ici. Fabrice nous avait donné rendez-vous dans un bar de Gerena. Après la
bise, tout le monde a pris place sur la terrasse. On a commandé des bières. Moi
du vin. Fabrice était ému. Il a très vite déclaré que le moral n’était pas au
beau fixe. Il a dit ça avec une infinie délicatesse. Sans aucune obscénité Il
aurait pu ne rien dire. Garder tout ça pour lui. Il avait juste besoin de
libérer les voix intérieures qui faisaient gronder l’orage en lui. Il arrivait
au bout du chemin de sa vie de mayoral. On a répondu que non. On ne
voulait pas entendre ça. Il a évoqué l’âge, la retraite qui n’était plus un
mirage pour lui, les difficultés avec la ganadería, les nouvelles
réalités d’un monde rural grignoté par des enjeux nés ailleurs. Les terres
agricoles devenaient des champs de panneaux solaires dans le coin. Les toros s’échappaient
parfois des enclos. L’un d’eux avait chargé un cycliste sur la route ou une
bonne femme, je ne me rappelle plus. Et puis il fallait les vendre les toros.
Les Albaserrada, les Pedrajas, que pas grand-monde ne voulait affronter. Des
commissions passaient, trouvaient ça très joli, souriaient puis se barraient
voir ailleurs si la duración, la humildad et la classe n’étaient pas affichées
sur un code-barre tatoué sur les incontournables fundas. Il ne l’a pas dit
ainsi parce que Fabrice ne dit pas les choses ainsi.
Le lendemain, après avoir posé les crotales à Capitán, au milieu d’une cerca de cuatreños, ça allait mieux. Il nous l’a dit comme ça. Il n’avait pas besoin d’en dire plus. Je l’ai regardé observer ses toros. Il savait lequel serait plutôt noble. Il disait que celui-là, là-bas, celui qui restait seul, serait difficile à embarquer. Qu’il allait lui donner du fil à retordre. Devant nous est passé le prototype même du Pedrajas. Avec ses arcades gonflées, on aurait pu le prendre pour un Tulio. Fabrice était à sa place. C’est déjà une victoire d’être à sa place dans la vie. On croise tellement d’autres êtres humains qui n’y arrivent pas. Des fois, ça rend triste de constater toutes ces sorties de route. Fabrice n’avait pas dévié. Je l’observais du coin de l’oeil en faisant des blagues sur la concurrence photographique. Je me suis moqué de ceux qui s’allongeaient dans l’herbe. Je me suis allongé cinq minutes après. Un vent léger faisait onduler ses cheveux. Un sourire discret ponctuait chacun de ses mots livrés dans une demi tonalité, presque murmurés. Il faut tendre l’oreille pour entendre Fabrice. Je me suis fait la réflexion que c’était une clé de la transmission. Tendre l’oreille c’est rester sur le qui-vive, c’est écouter vraiment. Le coucher de soleil est devenu nuit. La nuit a pris son temps. On a écouté Fabrice. De faibles lumières éclairaient des recoins de Mirandilla. Des têtes de toros faisaient pousser des ombres sur les murs. Rien n’était inquiétant. Les ombres, les rais de lumière, la silhouette vieillie de la marquise, les livres jaunes, les bruits de la campagne dehors et les mots bleus de Fabrice donnaient la sensation de contempler la peinture de l’apaisement.
Quel magnifique texte ! Merci !!
RépondreSupprimerArlette
texte relu 3 fois ! quelle belle plume . un grand merci pour ce bon moment.
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