Plus de 25 ans entre ces deux photos. 25 ans, une bonne tranche de vie. 25 ans, deux destins croisés.
Milieu des années 80, le jeune (et mince) aficionado fait la
chasse aux photos et aux autographes de ses idoles les toreros. Avant une
corrida à Palavas, il attend patiemment
l’arrivée des maestros à la porte des cuadrillas pour s’immortaliser
avec eux. Ce jour-là, un cartel de banderilleros : Nimeño, Victor Mendes et El Soro.
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“Maestro, una foto por favor”
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“Gracias”
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“ De nada chaval”
Milieu des années 10 (on a évidemment changé de siècle) le
jeune (et moins mince) mayoral invite une de ses idoles de l’époque, le matador
El Soro, à tienter dans l’élevage où il est devenu mayoral.
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“Mayoral, una tienta por favor”
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“Gracias”
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“De nada maestro”
Vicente Ruiz “El Soro”. 52 ans. Alternative en 1982. Heures
de gloire dans les très prisés cartels de banderilleros. Trosième matador de
l’affiche tragique de Pozoblanco en 1984 avec Paquirri et El Yiyo. Blessure
grave au genou en 1994 en sautant dans le callejón après une pose de
banderilles al molinillo (sa spécialité). 3 ans de chaise roulante, plus de
trente-cinq interventions chirurgicales, des centaines de milliers d’euros
engloutis dans ces operations “miracles”, une jambe bionique en titane, des dépressions
comme des camions, des kilos d’enbompoint, … mais toujours cette envie folle de
vouloir toréer.
Prés de 20 ans après l’accident, des rumeurs de retour, El
Soro a perdu 30 kilos, il ne boîte plus, il va réapparaître pour la féria de
Valencia, …
Et puis le coup de fil en direct. Ok pour une paire de
génisse en tienta et un novillo (petit) que j’offre au maestro pour le
remercier de cette photo qu’il m’avait autorisé à prendre avec lui il y a
plus de vingt-cinq ans.
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“De nada maestro”
Il arrive à Mirandilla, sort de la voiture et je sais que
non, ce n’est pas posible, El Soro ne pourra pas toréer à nouveau. Triste image. Huit centimètres de différence entre les deux jambes! Il ne peut pas se mouvoir
normalement. Il boîte. Il boîte énormément!
Dans les corrals, je m’efforce de choisir la meilleure vache
possible pour lui. La plus douce, la plus noble, la moins puissante. Je cherche la
lignée de la ganadería avec le plus de garantie de toréabilité. Je cherche la vache sans complications. Je trie
finalement une génisse dont le regard
exprime pure bonté. Et je ne me suis pas trompé. L’œil du mayoral et sa grande
alliée, la chance.
La vache permet à Vicente de se confier et de nous servir
une faena tout en suavité, dans les canons qu’il utilisait à l’époque :
proximité et tremendisme. Saveur subtile, inqualifiable, de tauromachie à
l’ancienne.
Le novillo sort lui avec charge plus exigente. Après la première série de muleta, le valencian renonce avec beaucoup de dignité et laisse sa
place au novillero qui l’accompagnait.
A cet instant, je me souviens de ces années où une puissance
physique extraordinaire lui permettait de gommer d’énormes lacunes artistiques.
Sebatian Castillo, Javi Silva, Fabrice Torrito, Javier jiménez, Maruchi Benjumea, El Soro et Martin Campanario après le tentadero |
Qu’elle que soit la véritable motivation qui le pousse à
vouloir toréer à nouveau, je ne peux que tirer-bas mon chapeau devant cet homme
tant meurtri, qui doit douter à chaque instant de cette décision, mais qui ce jour-là, avec beaucoup d'humilité, ne cessa de conseiller et encourager les maletillas présents en leur
transmettant une envie et une joie de toréer hors du commun.