Lors de ma tournée vespérale en 4x4, je me trouve dans l’enclos dit de la Laguna où sont réunies 45 vaches de ventre avec l’étalon Terrero. Je sens la manade nerveuse. Les mères semblent affolées, les veaux courent dans tous les sens. Par habitude, je fais le tour de l’enceinte en vérifiant les clôtures.
Près de l’abreuvoir, sur une dizaine de mètres, le grillage a été défoncé et les piquets en fer tordus. Des grappes de poils de bêtes sont accrochées aux barbelés. Je crains le pire. Des mugissements attirent mon attention vers une clairière au centre du champ. Je comprends alors ce qui s’est passé. Le semental Terrero n’est plus le seul mâle dans le troupeau. Lui fait face Siligoso, l’étalon du parc voisin de la Zahúrda. C’est donc lui qui a démoli la barrière et s’est invité dans l’enclos voisin. Deux étalons sur un même pays, cela n’est pas viable. Je pressens du grabuge.
Les deux animaux se défient. Ils sont face à face, distants encore d’une paire de mètres. Ils pivotent sur eux-mêmes, sans jamais se perdre de vue, représentant une belle ronde sauvage. Ils grattent furieusement le sol, pour s’intimider. Résonnent des beuglements effrayants qui semblent sortir du fond des entrailles de l’ancéstrale origine animale. Le litige porte sur le territoire. Ces préliminaires d’intimidation durent une bonne dizaine de minutes. J’observe sans oser un geste. Pour eux, je n’existe pas.
Soudain, claque un bruit osseux. Les deux têtes viennent de s’entrechoquer avec une puissance inouïe. La lutte vient de débuter.
Pendant près de vingt minutes, j’assiste impuissant au spectacle le plus impressionnant que mes vingt ans de campo m’aient offert. Bagarre acharnée, sauvagerie pure, essence de caste, survie de race, … j’en ai la gorge sêche. Je suis conscient de ne rien pouvoir faire pour stopper cet affrontement.
Pendant près de vingt minutes, j’assiste impuissant au spectacle le plus impressionnant que mes vingt ans de campo m’aient offert. Bagarre acharnée, sauvagerie pure, essence de caste, survie de race, … j’en ai la gorge sêche. Je suis conscient de ne rien pouvoir faire pour stopper cet affrontement.
Il faut un vainqueur. C’est la rêgle immuable de la sélection naturelle. Ici, pas de demi-mesure, pas de tergiversations, pas de calcul autre que celui de s’imposer pour règner sur le territoire. Ici pas de bravoure moderne, pas question de suivre suavement les plis fuyants d’un morceau de serge rouge! La caste, la vraie. Cornes entrelacées, poussant avec les reins, le combat est acharné, sans merci. Reculades, avancées, glissades, génuflexions, … Chacun son tour un taureau prend le dessus pour le perdre aussitôt. Issue incertaine. J’en viens à espérer que rapidement un des deux étalons s’impose nettement. Terrero a un physique plus imposant, mais Siligoso est âgé d’un an de plus. Cet élément pèsera finalement dans la balance.
Terrero s’enfuit au galop. Il n’en peut plus. Siligoso le poursuit encore quelques dizaines de mètres puis s’arrête net. Image merveilleuse d’un guerrier vainqueur : corps en sueur, mucles tendus, morrillo* proéminant, poils hérissés, et le plus impactant, une vraie image de BD, de la fumée sort de ses naseaux. Un BRAVE.
Certain que Terrero ne l’importunerait plus, Siligoso s’est rapproché de la manade de femelles du vaincu et a commencé à en faire le tour pour se l’approprier.
Quant à Terrero, je l’ai retrouvé caché au fonds d’un fourré, ruminant sa défaite et sa honte. Image triste du taureau terrassé, abochornado*.
Aujourd’hui, j’ai félicité mes vachers de m’avoir convaincu d’épointer les cornes des sementals, alors que cette pratique me rebutait. Grâce à cette précaution, la lutte n’a pas fait trop de dégâts physiques. Par contre il va falloir observer comment Terrero se remettra psychologiquement de cette raclée …
Photo : lutte de deux Albaserrada au campo vue par Agustín Arjona
Morillo* : partie charnue de muscles et graisse sur le cou du taureau
Morillo* : partie charnue de muscles et graisse sur le cou du taureau
Abochornado* : honteux, apeuré
Bonjour Fabrice ; un grand merci pour le récit de ce moment exceptionnel. Avec mon meilleur souvenir à La Mirandilla en 2004
RépondreSupprimerEncore de beaux jours pour un TORO II, ces récits sont riches et vivants! Stéphanie
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