mercredi 16 décembre 2015

"A Fabrice". Texte de Michel Cece.


Moment très fort d'émotion lors des dernières Journées de Torrito Afición, à l'Esparragal lorsque Michel Cece lit à Fabrice le magnifique texte qu'il lui avait écrit, véritable ode au campo. Le voici, dans toute sa force poétique!


A  FABRICE

Parlons taureaux mes amis, de quoi pourrions-nous parler d'autres ?

A moins que pour une fois, vous m'autorisiez à tourner autour, non pas à tourner le dos comme des aficionados mécontents pourraient le faire à Pampelune, mais à tenter de dire autrement, ce que, humblement, avec cet air de rien qui caractérise le lieu, nous trouvons ici, point à la ligne.

Ligne justement sera ma digression. Parce qu'à l'humilité qu'oblige le travail quotidien au campo, il faut une ligne. Ligne, comme une lumière qui nous guide, cette ligne si loin là-bas, tant éloignée de nous qu'on pourrait la confondre à l'horizon, ce bout de nos yeux que l'on ne peut jamais atteindre, et qui pourtant nous fait avancer ; ligne, que l'on aperçoit parfois que très vaguement sous les brumes matinales, si l'on n'a pas quelqu'un qui nous apprenne à voir, qui nous aide à nous soulever, à nous hisser, à prendre cette hauteur nécessaire pour apercevoir demain.

Ligne de là-bas, ligne de par ici, chacune à poser, les bonnes années, l'herbe de la prairie sous nos pas. Les phrases se posent comme elles peuvent sous les pluies de l'automne. Fabrice dit : «  Quel bonheur quand la poussière se transforme en boue...la terre respire....les taureaux s'épanouissent...Nettoyés par l'eau du ciel, leurs peaux paraissent comme lustrées. »

Nous prenons les longs chemins du campo. Il n'y a que lui qui sait où nous allons, bien qu'il nous dise : « tu sais, si j'avais des certitudes...je n'ai pour moi que cette ligne qui me guide, ce là-bas qui est à atteindre, et pour y voir, au-delà de ce que mes yeux aperçoivent, au campo, aux tientas, aux comportements dans l'arène, il y a la lumière de la lignée, et puis, pour ce qui est de l'invisible, la présence de José Luis, et toujours, au visible journalier, la présence quotidienne de Maruchi, de l'équipe, et des miens. »

Tenant cet instant présent, ces instants d'ici maintes fois répétés, j'aperçois sur Mirandilla, l'ocre rouge du ciel, une déchirure entre eucalyptus et petits chênes. Tout se dit entre arbres et ciel, la peur des blessures, un vol de palombes, l'espoir qui monte de la terre, et la présence rassurante des bêtes, leur force paisible, leur inquiétante et indispensable sauvagerie parfois. Le campo a ses vérités, jamais de certitudes.
Le passé apprend et le lointain guide.

Lignes, comme les pluies qui tombent drues disent  dans les ornières boueuses, les traces des sabots, l'espoir de l'herbe.
Lignes, comme la brume descend du ciel jusqu'à envelopper les buissons, et s'évapore enfin pour devenir le soleil.
Lignes, puisque c'est avec la mémoire et les carnets du passé que Fabrice observe les jours à venir, la présence du lointain dans le nouveau creuset de ce que le présent et l'espoir peuvent autoriser à dire.
Et la plus grande dette du Mayoral. Ce mot, parce que chaque éleveur sait qu'il faudra bien un jour, restituer dans l'arène ce que le campo lui donne. Il n'est jamais trop tard pour découvrir ce qui nous est inconnu. La vie sert à apprendre. Et la mort du toro brave aussi.
Il est si facile à se mettre à mal rêver quand l'horizon est trop loin.
Et c'est peut-être cela aussi que le campo nous apprend dans son labeur quotidien. Demain n'est pas après-demain.Le temps passe si vite et si lentement à la fois. Au campo comme ailleurs. Nos yeux doivent se faire au lointain sans jamais oublier où nous sommes.

On ne comprend pas toujours, pas tout de suite pour le moins, pourquoi un lieu nous retient pour le reste de notre vie. Peut-être, que plus que nous-même, plus que nos mots, nos lieux nous disent.
Pour ma part, je suis du campo, de ces pays de taureau, et si l'arène a son indispensable vérité, le bonheur, je le puise essentiellement ici. Sur la terre qui dit la lenteur de ce qui est à construire.
Le « temple » du mayoral. Un bruissement. Un murmure.

Pour tout cela, pour cette foi, pour ce partage, Fabrice merci.

Pour écouter Michel Cece nous parler de son dernier ouvrage où il est ausi question de carnets ..., cliquez :

http://www.dailymotion.com/video/x1dpz6h_les-carnets-de-guerre-d-alfred-benezech-1914-1918-de-michel-cece_news

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