J’explique
Tout contents de partir en vacances dans notre chouette camion aménagé (à notre façon) mon Gilles de mari et moi-même, avions prévu quelques haltes sympas avant notre arrivée à la Finca d’Albaserrada, à Gerena. Patatras, après avoir prêté ledit camion, celui-ci se retrouve immobilisé, et nous avec. Pas le temps de se retourner, va trouver une place dans un avion, louer un véhicule, piquer celui de la fille ou des parents … Nous en étions là de nos cogitations quand, le mardi 8 novembre au matin, avant notre départ prévu initialement le mercredi 9, le cercle des habitués du café aux Halles, autour de Raoul Bessac, s’élargit. Jacky Delaye, passant par hasard, s’attarde et évoque son voyage vers l’Andalousie, et l’élevage dont Fabrice Torrito est le mayoral. Prenant en pitié mon désarroi, Jacky nous sauve et nous propose deux places dans le minibus loué avec ses potes. Il fallait se décider vite, ce qui fut fait, effectivement très vite : nous partions le soir même à 22 h. J’ai pu constater au cours du voyage, tant aller que retour, que ce côté «vite fait bien fait » est totalement inhérent au caractère de notre sauveur. Merci de nous avoir trimballés, et acceptés au retour avec, en plus de bagages volumineux et totalement inutiles (pourquoi tous ces pulls et ces vestes de pluie ?), deux imposants crânes de vaches ! De Séville à Nîmes, deux paires de cornes ont pointé notre appartenance aux pros. Même pas peur des antis.
Et nous voilà arrivés sur la terre rouge de la Finca du Marquis d’Albaserrada
Logés sur place dans l’une des deux chambres magiques de la ferme (au même tarif qu’à la pension du village), malgré quelques petits soucis de douche très écolos (oui, il est préférable de se savonner, puis de se rincer très rapidement, c’est mieux pour la planète). Nous avons eu tout l’après-midi pour retrouver Séville. Au point d’en être exténués et de rentrer avant minuit. Nous qui jadis n’aurions rien raté, a minima, de la misa flamenca, du Tamboril !
Entre temps, nos compagnons de route avaient rejoint leur magnifique maison de Sanlucar La Mayor.
C’est le jeudi que nous avons rencontré les Fous de mur
Comme les mousquetaires, ils sont quatre. Les fameux 3G ou G3 (Ghislain, Gérald, Gregory) et leur copain Anthony. Les trois premiers costauds, volontiers rigolards et toujours prêts à répondre à la moindre sollicitation avec vigueur, sont indissociables du dernier, au trompeur aspect de premier de la classe, à l’humour plus discret mais extrêmement plus incisif.
Nouvellement promus membres de l’association Les amis de Pablo Romero, ils forment un groupe prêt à répondre à toutes les sollicitations. Taurines en premier lieu, puisqu’ils écument régulièrement les férias toristes. Solidaires aussi. L’année dernière, sachant les difficultés rencontrées par Fabrice, ils ont fait partie de ceux qui ont relevé un mur des corrales situés derrière la placita de tienta de la finca, D’où la porte intitulée « puerta grande » ou « puerta de los franceses ». Cette année, ils ont pris une semaine de congés pour continuer leur œuvre, et entreprendre le coffrage des murs d’un autre enclos. Elle coïncidait parfaitement avec le programme proposé par Torrito, quelle chance ! Hormis peut-être ce qu’ils coûtent en bière ou en rebojitos (mais nous venons de le voir, l’eau devient bien trop rare) ces garçons là sont un remède au défaitisme et un exemple de jeunesse ardente. Une aide qui brille par sa force, son authenticité, et non par ses paillettes.
En revanche, ils n’ont pas pu grand-chose pour aider l’équipe de foot française, venue affronter le jeudi soir, l’équipe des vétérans d’Espartinas, village natal d’Espartaco. Inutile d’évoquer un score qui ne retranscrirait pas le stress du retard (le gros de la troupe arrivait en avion), le manque de temps pour s’adapter à une pelouse synthétique relativement malcommode, et la prise en compte d’éléments nouveaux (dont le transfuge, Fabrice Torrito lui-même qui, ainsi, restera en bons termes avec les membres de son équipe espagnole après notre départ). Parlons plutôt de la troisième mi-temps, dos tourné au terrain, mais face à la petite guitoune pleine de Cruzcampo et de charcuterie offertes par l’équipe victorieuse. Et pour couronner le tout, la façade de la plaza de toros absolument somptueuse de ce charmant village, si fier de son torero. On s’est régalés, mais vers 1 h 30 du matin, une partie a déclaré forfait pour aller se glisser rapidos dans les plumes. Impossible de raconter ce qu’on fait les furieux qui ont, malgré la fatigue, décidé de rallier Séville. On sait juste qu’ils sont rentrés au petit matin, et se sont couchés après avoir petit-déjeuné à Gerena.
Le vendredi était jour d’émotion
L’après-midi, plus tôt que prévu, ce qui est à noter en Andalousie, avait lieu un tentadero de génisses et de mâles dans la placita aux couleurs andalouses, ocre et sang de toro, toutefois un peu passées. Ce moment est précieux dans un élevage, il oriente tout son avenir, mère après mère, macho après macho. Ceux-ci, les étalons, étaient testés à la branche de laurier rose, afin de ne pas les mettre en rapport direct avec un capote ou une muleta. D’ailleurs, la décision du mayoral de laisser un torero s’approcher, cape en main, ne laisse aucun doute quant à son choix. Le novillo, qui a vécu trois ans sur les terres, ne sera pas gardé. Il a coûté plus cher que ce qu’il rapportera en prix donné pour la viande, et emporte avec lui un petit morceau d’espoir. Vite reporté sur ceux, ou celui qui reste. Dans le cas du tendadero du 10 novembre, l’un des toros sera testé une nouvelle fois, uniquement à la cape. Un combat dans le corral peut avoir été à l’origine d’une partie de son malaise.
Pour les propriétaires de l’élevage, et leur mayoral, l’émotion a été forte tout au long de l’après-midi, durant laquelle l’un des participants a constaté «On a vu plus de piques ici qu’à Nîmes ». Parfois, doigts noués, ils ont été submergés, déçus ou sensibles à un détail, une alchimie un peu mystérieuse pour les observateurs qui ont toutefois demandé à Fabrice Torrito de mieux leur expliquer les tenants et aboutissants de ses décisions, ce qu’il a fait, comme toujours, bien volontiers, avec patience et pédagogie, juste avant l’Assemblée générale de l’association Torrito Aficion, (compte rendu exhaustif sur le site). Fabrice était heureux, et fier, que des toreros aient accepté de toréer sans protection (et croyez-le, les cornes des novillos sont pointues chez Albaserrada). Etaient présents Salvador Cortés, Emilio Huertas, Antonio Chacón, et le très jeune et hyper prometteur, Calerito, connu de tous ceux qui ont participé au Printemps des aficionados à Saint Gilles cette année. Très présent également, très professionnel, Tomás Campuzano a participé à faire du tendadero un grand moment taurin (et bravo au jeune piquero de San Felipe qui fait des débuts prometteurs).
La journée s’est terminée par un dîner très chic dans un restaurant installé dans un ancien moulin de Gerena, la Cerca de Los Toreros. Une véritable soirée de gala, couronnée par quelques derniers verres mal digérés par Gilles.
Le point d’orgue du samedi
Couchés tard, les aficionados se sont levés tôt ce jour là pour participer à la ferrade de cinquante et une bêtes de 6 mois à 1 an. 26 veaux, 25 velles. A 8 h déjà, le feu rougissait les fers, alimenté par une bonbonne de gaz, et non, comme l’aurait souhaité Fabrice, par des bouses de vaches séchées, à l’ancienne. Faut pas refuser le progrès Fabrrri. Les plus enragés ont mis la main à la pâte, voire à une matière plus gluante et plus mal-odorante. Quel spectacle ils nous ont donné. Se tirant un peu la bourre avec les espagnols eux-mêmes un peu chatouillés dans leur droit du sol, les français ont été très présents. Les mousquetaires avaient abandonné leur mur, contents d’avoir avancé grâce à l’aide supplémentaire des vétérans de Pablo Romero : Michel Cecce, Henri Chavernac (très disponible malgré un début de thèse sur la Manzanilla particulièrement prenant) et Serge Genest, monsieur le président en personne. Comme à son habitude, Joe Gabourdès, lui est arrivé pour la photo (soutenu par Puce et Patrick). Merci d’ailleurs aux femmes de tous ces messieurs (Martine, Monique, Marie-Claire, Sophia) d’aimer autant les toros qu’eux, de savoir passer leurs journées sans coller aux basques de leurs hommes, et d’avoir le courage de faire la lessive après leur séjour !
Chaque animal attrapé par la patte à l’aide d’un lasso monté sur une perche est extirpé du corral pour être numéroté, escoussuré, labellisé, traité, sous la double vérification d’un vétérinaire national et local. Et ça n’est pas une mince affaire, les anoubles n’étant évidemment pas d’accord. Le combat qui s’engage est éprouvant pour les deux parties, et on a vu plus d’un participant voler. Surtout, comble du comique, lorsqu’une bête, lassée d’être confinée, parvient à se faufiler par la porte entrouverte pour sortir un congénère. Dans l’enclos réservé à la ferrade, c’est alors la panique. Le premier animal est déjà en main, et le second fonce sur le groupe. Comique de situation hilarant pour le public, mais porteur de bleus en puissance. Christophe André et son équipe, Kamel, Bernard, Jean-Michel, ... ont a su faire valoir à cette occasion la maîtrise acquise à Beaucaire lors des lâchers de toros dans la rue. Puis il y a tous ceux qui se sont enhardis au fil des heures, allant jusqu’à maintenir le toro dans la fumée des poils roussis. Une ambiance extraordinaire, pour tous ceux qui ont déjà connu ça, et pour tous ceux qui venaient pour la première fois. Journée d’exception, clôturée par un cocido (pot au feu de pois chiches, porc, boudin et chorizo) d’exception lui aussi.
Et que croyez vous qu’ont fait nos français accros au mur ? Qu’ils se sont reposés sur leurs lauriers ? Que nenni, éreintés et repus, ils sont repartis bosser, passant devant des espagnols médusés. Le soir, épuisés, pour ne pas gaspiller la dernière gâchée, ils sont même allés remonter un petit mur du jardin de la finca, tombé d’un malheureux coup de pelle mécanique. Des mordus on vous dit, des mordus…
C’est sur un petit nuage, après avoir suivi souvent Fabrice au Campo, après avoir entendu les toros mugir les soirs de pleine lune, profité des oranges et des grenades du jardin que nous sommes repartis vers la France, toujours dans le minibus de nos compagnons. Ne regrettant plus du tout de n’avoir pas pu disposer de notre camion pour nous échapper du Campo. Pourquoi ? Puisque nous y étions si bien !
Arlette Chavanieu Moran
" ... et croyez-le, les cornes des novillos sont pointues chez Albaserrada!"
Salvador Cortés, Fabrice Torrito, Emilio Huertas, Calerito et Tomás Campuzano
Une partie des participants à l'AG
" ... une véritable soirée de gala à La Cerca de los Toreros"
" ... les véritables fous du mur!"
" ... Christophe André et son équipe de beaucairois en maestros attrapaïres"
" ... les jeunes aidés des vétérans"
Ferrade où ce n'était pas toujours les veaux qui étaient marqués ...
Assistance record à cet herradero historique ...
Et quoi de mieux qu'un bon cocido campero pour se remettre de ses émotions ?
Photos : Claire Laurenzio, Sophia Gabourdés et Anthony Crouzet
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